2 décembre 2008

La critique à la dérive


La critique a beaucoup
fait parler d'elle ces derniers temps. Le débat, qui est loin d'être nouveau et continue de porter sur la définition de la critique et ses missions éventuelles, s'inquiète surtout depuis un certain nombre d'années de savoir où elle est passée...













Pas évident de parler de la critique lorsque l'on est soi même impliqué dans cette discipline, si tant est qu'elle en soit véritablement une et que les activités auxquelles elle se réfère méritent cette appellation qui, par sa
tendance à échapper à toute définition définitive, pose question et va même jusqu'à provoquer certains cas de conscience...
À partir de quand est-il légitime de se qualifier de "critique d'art" ? Si elles se révèlent nécessaires, les activités menées, renvoyant à différents régimes de textes (articles, textes descriptifs et/ou analytiques, notices...) et supports et/ou commanditaires (catalogues d'exposition, monographies d'artistes, journaux, magazines et revues spécialisés ou généralistes, lieux d'art, et même blogs...), suffisent-elles à s'arroger le droit de se présenter et ainsi de se définir comme tel ?

Si l'on peut considérer que la critique d'art consiste littéralement à écrire sur l'art ou plus largement à le commenter, cette notion floue semble malgré tout charrier un ensemble de critères – références, argumentaire, ... – rendant l'exercice plus complexe et exigeant qu'il n'y paraitrait au premier abord. Je me répétrai en disant que, si la critique est forcément subjective, elle doit à mon sens s'accompagner d'une certaine distanciation de quelque avis ou intérêts strictement personnels pour, au contraire, mettre en valeur son sujet. Cela n'exclut pas obligatoirement l'usage du "je" mais ce dernier a tout intérêt à jouer en mode mineur. Un "je" en sourdine, un moi enseveli sous l'écriture qui se laisse à peine deviner quand bien même l'opinion d'un auteur peut se révéler limpide
à travers un texte.

Aux mauvaises langues, vite stigmatisées, voire bannies, on – la presse d'une façon générale – préfèrera le plus souvent des langues caressantes, lécheuses, lisses, dépourvues de toute écart verbal. Il ne s'agit pas d'aplanir ses propos pour les rendre passe partout et espérer ainsi les refourguer plus facilement. S'il ne s'agit pas non plus de monter au créneau à tout va, afficher à bon escient un certain esprit critique est a priori ce que l'on attend de celui qui, en positif ou en négatif, est censé prendre position, faire des choix, ce qui de façon plus ou moins explicite implique une part inévitable d'exclusion.

De la même façon que le pouvoir et ses relais, médiatique notamment, tendent à phagocyter les esprits rebelles – les "gens" ont bien trop de préoccupations (à la fois en terme de soucis et de choses à faire et à penser) pour songer à quelque révolution manifeste quelle qu'elle soit –, la précarité qui prévaut dans le champ de la critique – les places sont rares et chères et les textes généralement mal payés, ce qui laisse à penser à juste titre que vivre de la critique d'art relève du défi ! – incite ceux qui ne jouissent pas d'une autorité suffisante dans ce domaine à rester dans le troupeau — ce que n'hésitent pas non plus à faire un certain nombre de "personnalités" en place dans ce même domaine –, de peur de payer leur liberté au prix fort en devenant des brebis galeuses...

Aussi, en critique comme ailleurs, l'autocensure est bien souvent de mise. On en pense pas moins, mais moins on en dit mieux c'est, moins on fait de vagues plus on a de chance de garder la tête hors de l'eau.
Cette théorie est loin d'être un mythe, et la crainte qu'elle suscite fait progressivement son œuvre et assène les contraintes.
Peut-être est-il préférable,
quitte à goûter au plaisir solitaire de la dérive, de se laisser voguer sur ses propres flots, poussé par un vent de liberté, plutôt que de surfer sur un mainstream idéologique qui menace de nous assécher pour mieux nous couler (dans la masse).

* Voir entre autres sur ce blog : ici et .
Voir aussi quelques posts récents sur le blog de Magali Lesauvage.
Et surtout lire le dossier "La critique est morte? Vive la critique!" dans Mouvement (n° 49), l'article de Gaël Charbau, "Est-il interdit de juger dans le milieu de l'art?" dans Particules (n° 21).

Image:
Réplique, de Bertrand Lamarche. Installation visible à l'occasion de l'exposition personnelle de l'artiste, "The Funnel", présentée au Centre d'art La Galerie à Noisy-Le-Sec du 6 décembre au 7 février.

1 commentaire:

pop corn a dit…

Je passe un peu en retard ici, effectivement des questions que l'on se pose: lorsqu'on n'est pas possesseur d'une carte de l'AICA, peut-on se dire critique? Que recouvre réellement cette appellation? Y'a-t-il des règles, une ligne jaune en dedans de laquelle s'inscrire? Quelle différence fondamentale entre un critique d'art et un écrivain sur l'art? Y'a-t-il une seule façon de faire de la critique, une façon analyste, universitaire? Un texte critique peut-il être léger? Son rôle peut-il être seulement de donner à voir? Je m'étais pour moi même posé la question ici: http://lespasperdus.blogspot.com/2008/06/de-ce-que-pour-moi-crire-sur-lart.html en fournissant des articles à une revue. Il y avait cette difficulté première: parvenir à dire l'art. Fouiller en soi, trouver les mots justes qui en dévoileraient l'épaisseur, suggérer des connexions, des élections. En fait plus que de critique il s'agit d'écrire l'art, de le presser pour voir jusqu'où il est capable de parler, quel réservoir il fait.