25 septembre 2009

Gold Rush : Site en (RE/DE) construction


Bien que séparés par des milliers de kilomètres, Marie-Jeanne Hoffner (France) et Stephen Garrett (Australie) se rejoignent sur un ensemble de points communs balisant le territoire qu’ils se bâtissent progressivement, terrain d’entente, d’échanges et d’expérimentations jetant des ponts entre leurs pratiques respectives. Baptisé « RE/DE », ce territoire aujourd’hui inauguré à la Rochelle par une « ruée vers l’or » prometteuse, se présente comme un laboratoire de recherches autorisant toutes sortes de constructions pouvant être reconstruites, déconstruites, à l’infini. En somme, continuer à creuser, jusqu’à trouver, et percer à jour une forme nouvelle, mouvante, en permanente évolution. « RE/DE » procède d’une remise en question bipartite aspirant à l’élaboration de solutions partagées – et néanmoins aussi temporaires que l’est leur exposition – comme horizon artistique : la zone étendue de jonction entre deux manières de faire, et de penser.

L’un de ces points communs consiste à porter une attention toute particulière aux divers espaces et lieux qu’ils habitent et traversent – qu’il s’agisse de lieux de travail, comme l’atelier, ou de vie, comme l’appartement ou la maison –, et dont ils retranscrivent les formes et révèlent les traces. Ainsi, d’une opération préalable de mesures procèdent plans, maquettes et autres mises en perspectives en deux ou trois dimensions. Ancrées dans le registre architectural, ces manœuvres instillent, à travers le déplacement de lieux préexistants au sein d’autres lieux et à travers différents mediums, un décalage relevant des pratiques de représentation, et non de réplique pure et simple. Translations et glissements multiplient les « erreurs » – et les errances – et agrandissent les marges, les failles qui garantissent l’originalité de l’œuvre, et son détachement des réalités concrètes sur lesquelles elle se base en premier lieu. Telle une île, l’œuvre, en tant qu’extension du réel, s’en sépare tout en y restant, ne serait-ce que symboliquement, attachée.














Observant une logique du remake, opération de répétition portant en elle la différence, ces représentations font en effet bien souvent des infidélités au réel, introduisant ainsi, de façon plus ou moins perceptible, un « jeu » entre l’œuvre et son référent, qui repose parfois sur l’illusion d’optique. Par exemple, pour advance/retreat (Gallery 1) (2008), Stephen Garrett tend verticalement 9000 mètres de fil de nylon à quelques centimètres des murs, dont la couleur blanche fait passer l’intervention presque inaperçue. Avec Rampe d’escalier (2007), Marie-Jeanne Hoffner réalise quant à elle une œuvre qui pourrait évoquer le trompe-l’œil : sur des lés de PVC blanc, elle reporte en creux, au feutre noir, la trame de l’escalier qu’ils occultent sans toutefois en condamner l’accès. Un dédoublement, une sur-impression créant un léger trouble perceptif.

C’est à un partage du sensible que nous invitent Marie-Jeanne Hoffner et Stephen Garrett, dont plusieurs interventions in situ relèvent de l’empreinte. Réalisée en 1998, l’une des premières œuvres de Marie-Jeanne Hoffner était une sorte de membrane en latex ayant épousé les formes de la pièce vide d’un appartement [Rue du Moulin, Nantes], faisant ainsi office de seconde peau ayant imprimé, comme la mémoire, l’esprit des lieux à travers ses moindres reliefs, éléments structurels – embrasures, fenêtres, moulures, radiateur, cheminée, etc. – et autres scories laissant des marques. Dans le même esprit, en 2006, Stephen Garrett présente, dans l’espace d’exposition de l’Alliance française de Melbourne, un rouleau de papier kraft ayant préalablement recouvert la totalité du sol de ce même espace, et sur lequel apparaissent les différentes aspérités de ce dernier – grilles, contours, lames de parquet etc. –, marquées à la craie blanche [Blueprint (1:1)]. Ce « lien du sol » refait surface dans le travail de Stephen Garrett en 2007, avec l’installation Drawing for Floor and Wall : une partie de la surface du lieu d’exposition est recouverte de papier adhésif transparent. La « récolte » obtenue des différents débris et poussières jonchant le sol est ainsi reportée sur le mur blanc, donnant à voir les traces et indices prélevés du lieu lui-même à travers une sorte de fresque.

La dimension in situ constitue une caractéristique essentielle de l’œuvre de Stephen Garrett, comme de celle de Marie-Jeanne Hoffner. À l’écoute des lieux qu’ils investissent et dont ils prennent littéralement la mesure, les deux artistes conçoivent des pièces partiellement déterminées par les données intrinsèques des espaces où elles viennent s’inscrire. Reconfigurés, transformés, ces derniers deviennent des contenants pour des éléments pouvant donner lieu à de véritables passages et offrir de nouveaux modes de circulation.


Le projet présenté à l’Espace Art Contemporain de La Rochelle s’articule précisément autour d’une structure faisant le lien entre les trois salles qui le composent. Évoquant le genre de structures utilisées dans les mines, elle convoque ainsi la « Ruée vers l’or », un mythe encore bien réel, notamment en Australie, où les mines d’or sont toujours d’actualité. L’œuvre nous plonge ainsi mentalement dans une autre dimension, souterraine, cachée, et propose une remontée virtuelle dans le temps, la mémoire et le fantasme. Une sérigraphie représentant la plus grosse pépite d’or jamais trouvée témoigne d’une certaine réalité en même temps qu’elle rend compte du caractère quasi surréaliste de cet objet extraordinaire.

Plus loin, le mot HORIZON, devenu illisible, est incarné dans un néon qui trace une ligne accidentée évoquant quelque paysage. Des grands espaces clairs aux excavations les plus sombres où, enseveli, sommeille un or possible, « Gold Rush » se présente comme une invitation au voyage, à une exploration des lieux et des espaces – de leur surface comme de leurs profondeurs…

Visuels:
1) Floor (lit up), 2008. Marie-Jeanne Hoffner
2, 3, 4 et 5) Vues de l'exposition "Gold Rush" à l'Espace Art contemporain de La Rochelle.


Ce texte est paru dans une publication papier attenante à l'exposition "Gold Rush", présentée
à l'Espace Art contemporain de La Rochelle du 26 juin au 22 août 2009.