2 mars 2008

Etat (de la) critique


Pour une critique d'art du Trouble
*

« Le trouble, ce n’est ni la subversion (…), ni la résignation (…),

c’est ce qui introduit dans le champ même de l’art (et de sa perception)
un coefficient d’impureté ou de déstabilisation, ce qui triche avec les codes, ce qui perturbe les orthodoxies, ce qui fissure les conformismes ».
Guy Scarpetta, «Le Trouble» in Art Press 1993.


Le débat sur ce qu’a été, est ou devrait être la critique d’art n’en finit pas. Et il ne s’agira pas ici de prétendre y mettre un terme, d’autant que le singulier sied finalement peu à ce qui semble décidément échapper à la définition.
Maints critères, méthodes, courants et pratiques se sont dégagés au fil des siècles jusqu’à ce que la critique d’art bascule, avec l’art, dans l’ère postmoderne. De même que, depuis la fin des années 1970, l’art
s’est largement départi de son potentiel subversif, la critique d’art s’est progressivement délestée de son poids critique alors qu’émergeaient à la même époque deux phares de la critique d’art française, Pierre Restany et Bernard Lamarche-Vadel, figures à part, et pour longtemps.
Le critique d’art, désormais très fréquemment commissaire d’exposition, voire directeur de galerie ou d’institution, s’est alors rapproché des instances du pouvoir du système de l’art, récupéré, aspiré par le tourbillon d’un marché de plus en plus omniprésent et déterminant. Sans parler, dans le contexte médiatique, des limites de la liberté d’expression et de l’auto-censure dues à la dépendance croissante des médias vis-à-vis des annonceurs, souvent institutionnels.
Le bien nommé “milieu” ou “monde” de l’art apparaît de plus en plus clairement aujourd’hui comme un microcosme à l’image de la société dans laquelle il s’inscrit, charriant son lot de classes, de rapports de force et de violence symbolique, régi par une logique néolibérale globalisée, dont témoigne notamment la propagation des foires à travers le monde.

Le sociologue Pierre Bourdieu a un jour comparé sa discipline à « un sport de combat »: « On s’en sert pour se défendre, c’est un instrument de self-defense ; on n’a pas le droit de s’en servir pour faire des mauvais coups !». Ce serait une comparaison possible pour la critique d’art, qui revêt par ailleurs une dimension sociologique. Là où Bourdieu entendait par “self-defense” une autodéfense au service d’autrui – des dominés, des exclus du corps social auxquels, en tant que porte-parole, il s’identifiait – revenant à une protection d’autrui, il s’agirait davantage, en ce qui concerne la critique d’art, de la défense de territoires protégés et d’intérêts personnels ou communautaires, selon une logique orientée vers l’auto-promotion plus ou moins directe et manifeste.
Mais qu’en est-il du caractère offensif – et bien souvent offenseur – de la critique d’art ? Si une critique constamment laudative n’est pas satisfaisante, une critique défavorable, qui peut être tout aussi consensuelle et complaisante, se doit d’éviter “les mauvais coups” en respectant certaines règles de l’art de la critique, à défaut de quoi l’exercice, aussi petit que stérile, revient en quelque sorte à retourner l’arme du crime contre soi…

Si l’objectivité en critique d’art n’a pas lieu d’être, la subjectivité, l’engagement personnel, doit s’accompagner d’un effort de distanciation et de mise en retrait – d’un retour réflexif pour revenir une nouvelle fois à Pierre Bourdieu – visant à éviter le piège de l’autodéfense. La subjectivité en critique a de l’intérêt si elle exclut une tendance égocentriste et si elle se place du côté poétique ou politique. N’en déplaise aux ultra-contemporains que nous sommes, il conviendrait peut-être de revenir à une critique semblable à celle que pratiquaient les Grecs durant l’Antiquité: une critique placée du côté de la démocratie contre la tyrannie et l’obscurantisme.

Une certaine éthique de la critique n’exclut pas la dénonciation, la transgression. Mais il ne s’agit pas tant d’enfreindre les règles que de les déjouer/rejouer. La critique d’art doit se faire le relais de ce qu’est et doit être l’art: non pas un divertissement, ni un « bien culturel industriel », mais bien un lieu de résistance à l’asphyxie culturelle, économique et politique. Ne laissons pas l’art et les commentaires qui s’y rapportent sombrer irrémédiablement dans la spirale mercantile. Plongeons-les dans les eaux troubles, qui sous leur apparente sérénité, portent, tapies dans leur lit, des révolutions frémissantes…


* Texte paru dans le dernier numéro de la revue Nuke, Trouble.

**Lien**
http://www.nuke.fr

4 commentaires:

Magali a dit…

Bien vu !
La critique en effet ne "trouble" plus tellement les esprits, et devient plutôt un relais privilégié entre producteur et consommateur.
A ce sujet, voir un certain blog d'une certaine "critique d'art" (?) qui cite les prix des œuvres vues en galerie, jugés "raisonnables" ou "abordables"... comme le kilo de patate ?

Anonyme a dit…

bravo

je rejoins magali

la critique ne sème plus le trouble

où est-elle?

Mais c'est au bloggeur de la mettre en place...

Anne-Lou a dit…

le blog, dernier espace critique?

Anonyme a dit…

je pense

car il permet l'expression des personnalités

alors il y a des défauts mais la critique est libre

pas d'intéret derrière en tout cas pour l'instant

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