À l’occasion de la parution de ses deux recueils de photographies, Alphabet Truck et Twentysix Abandoned Gasoline Stations, Éric Tabuchi présentait l’exposition «K concret» à la Galerie Florence Loewy jusqu’au 5 décembre dernier. Des photographies extraites de ses multiples séries y cotoyaient de menus objets et autres écritures en trois dimensions: autant de signes d’un langage codé révélant en filigrane l’histoire personnelle de l’artiste, errant dans un entre-deux identitaire et culturel.

S’il est finalement venu à bout de l’alphabet, il n’a pas eu besoin d’aller au bout du monde – et encore moins jusqu’aux Etats(-Unis) d’Amérique, à l’instar de ses «pères»: John Baldessari , Ed Rusha ou Stephen Shore – pour réaliser ses différentes séries photographiques en extérieur jour, à l’écart des villes, «dans un périmètre de 250 kilomètres autour de Paris» avoue-t-il même. Peuplées d’architectures incongrues, de monuments improbables, de figures in progress ou déjà ruinées, et autres situations frôlant l’absurde avec non-lieux et terrains vagues pour toile de fond, ces séries, conçues comme de véritables collections, se caractérisent notamment par l’absence manifeste de toute présence humaine. Une manière détournée de parler de l’homme, lequel, à un moment donné, sera intervenu dans ces divers «chantiers», que ce soit sur le plan de la conception, du simple assemblage ou de la construction, de l’abandon voire de la destruction.
Parler. Car c’est à un ensemble de dialectes que l’œuvre d’Éric Tabuchi nous confronte.

Une identité prise entre deux feux culturels pour le moins distincts, que l’artiste emprunte à double sens.

La France serait-elle le résultat de cette insolite addition ? C’est scientifiquement peu concevable, mais dans les faits, Éric Tabuchi a opté pour ce territoire qu’il n’a de cesse de baliser en le parcourant avec les yeux d’un étranger en son pays, d’un éternel gamin curieux de tous les possibles qu’offre le réel, pour peu qu’on sache le regarder. Attentif aux formes et figures préexistantes qui l’entourent et l’attirent, il réactive en la déplaçant la fameuse formule duchampienne – « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux » –, souvent paraphrasée – « C’est le regardeur qui fait l’œuvre ». Le regardeur étant ici, en amont, l’artiste, auquel on prête communément la capacité, sinon la «mission», de voir autrement et de donner à voir ce qui nous est invisible. En tant que découvreur et instigateur de ready made, Éric Tabuchi érige ainsi en tant qu’œuvre d’art, par photographie interposée, ce qui a priori ne relève en rien de ce statut.
Image fixe, la photographie intègre ici le mouvement dans sa dimension cachée – les déplacements, virées et autres sorties de route nécessaires à l’entreprise de l’artiste. Cet hors-champ itinérant nimbé de mystère et de fantasme, qui constitue la partie immergée de l’iceberg, tend à infléchir le caractère à peine documentaire et «objectif» provenant notamment de l’aspect sériel de la manœuvre, qu’incarne de façon paroxystique l’immense œuvre des Becher. À l’instar de la série des Formes du repos d’un Raphaël Zarka, temps et mouvement s’inscrivent en creux dans les photographies d’Éric Tabuchi – les séries Alphabet Truck et Mobile Home entretiennent ici un rapport plus direct avec la notion de mouvement –, et constituent les traits de caractère d’une œuvre processuelle qui nous fait voir du pays en même temps qu’elle dessine en pointillés une cartographie intimiste d’un de ses fervents arpenteurs.
http://www.erictabuchi.fr
Texte publié dans le dernier Particules (n°23 février-mars), disponible dans toutes les bonnes galeries...
Photos:
Vues de l'exposition «K concret», Galerie Florence Loewy, 2008. Courtesy Galerie Florence Loewy / Éric Tabuchi.
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