17 octobre 2008

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GRÉGOIRE BERGERET : ACTIONS / RÉACTIONS


Du 12 juin au 26 juillet dernier, la galerie Claudine Papillon présentait la première exposition personnelle de Grégoire Bergeret, «Ne rien faire, mais que rien ne soit pas fait». L’artiste y dévoilait un ensemble d’œuvres empreintes de Minimalisme et d’Arte povera, basées sur des processus mêlant artisanat et expérimentations.

Dans la sacrosainte famille des «artistes de moins de 30 ans», je demande Grégoire Bergeret. L’expérimentation se trouve au cœur des travaux pratiques de cet artiste né en 1980 et diplômé de l’École d’art d’Annecy en 2005, qui mérite bien qu’on le qualifie, au premier degré bien entendu, de manipulateur. Scanner une tranche de jambon, enseigner la géométrie à un chat par le biais du tennis, piper un dé pour faire sept à chaque coup ou encore fabriquer des cheveux de cire constituent quelques-unes des nombreuses, car quotidiennes, micro expériences ludiques et absurdes auxquelles il se livre dans son atelier bruxellois, et qui nourrissent son œuvre intégrant un ensemble de processus low-tech plus ou moins complexes. La transformation, qui induit une part de hasard, permet bien souvent de souligner le décalage qu’il peut y avoir entre une action et son résultat. Voire entre l’idée d’une action et l’action réellement menée. C’est à cette distorsion – phénomène devenu courant au sein de notre société de l’information et de la communication où la réalité se trouve absorbée par une masse prodigieuse d’informations et apparaît bien souvent déformée – que l’œuvre de Bergeret s’astreint, sans trop savoir où cela la mènera – sinon, à quoi bon l’expérience ? –, sondant ainsi ce qu’il reste du réel à travers ce qui en est rapporté. En 2007, l’artiste conçoit Le Magnétisme des repères, un projet de papier peint sur lequel s’inscrit sur fond blanc une trame régulière de grillage, déformée par l’effet d’un double champ magnétique simulé par un programme informatique et reprise manuellement. En 2005, il se livre à une série de tentatives de partie de jambes en l’air consistant à effectuer un coulage automorphique en plâtre dans une paire de collants, dont naîtront finalement Les Jambes en l’air – car présentées la «tête» en bas – absolument infidèles à leur modèle.

Le jeu – de mots notamment –, inhérent à la pratique de Grégoire Bergeret, ne doit pas occulter la violence, toujours contenue, que relatent nombre de ses œuvres, principalement à travers le motif omniprésent de l’explosion. Dans No Pictures available (2007-2008), l’artiste réalise sur ordinateur des images d’explosion en distribuant manuellement sur une surface vide chaque pixel selon l’intensité du feu, partant du cœur de l’impact vers la périphérie. Cela donne de grands tableaux de papier blanc plastifié puis contrecollé sur aluminium, dont il faut s’approcher de très près pour pouvoir distinguer les minuscules particules noires qui les ponctuent. Également présentée à la galerie Claudine Papillon cet été, Hole in the Head, l’une des dernières pièces conçues par l’artiste, montre un miroir brisé par l’impact qu’aurait provoqué quelque projectile mortel. Dans Impact (2006) justement, il pose sur une vitre des dizaines de morceaux de scotch transparent passant tous par le même point, créant ainsi l’illusion d’un cercle de verre fissuré par l’impact d’une balle perdue situé en son centre. L’œuvre Fleur de mort (2008), qui représente une fleur incarnée par un obus, témoigne parfaitement de la dimension métaphorique et poétique de l’art de Bergeret, et de la fragilité qu’il oppose à la violence à travers plusieurs pièces, à l’instar de La Robe (2006), précaire chapiteau réalisé en feuilles de papier à rouler, ou de Che Fare (2006), écriture tridimensionnelle et filandreuse obtenue au pistolet à colle chaude.
Force est de constater que l’artiste se plaît à (se) jouer des matériaux, des instruments et des médiums, détournant leurs propriétés, fonctions, usages et autres règles de bienséance. Présentée telle un tableau, l’œuvre Tir suspendu (2006) est une plaque d’aluminium d’un mètre sur un mètre. Les petites bosses qui la boursouflent en son centre ne sont autres que les multiples impacts provoqués par le tir d’un fusil de chasse, effectué à une distance telle que les balles n’ont pas percé la plaque, mais sont venues graver dans la matière leur violent souvenir…

Tels les possibles résidus d’une brutale explosion qui de son souffle aurait fait le vide autour d’elle, de curieuses boules noires jonchaient une partie du sol de la galerie Claudine Papillon (Retour vers le futur, 2007): en réalité, des agrumes de taille variable, carbonisés, apparaissant comme autant de vestiges d’un futur à venir. Sombre. Si l’artiste a ici accéléré la transformation de ces fruits autrefois colorés en les soumettant à la température très élevée d’un four, la mise en œuvre peut aussi s’avérer longue et laborieuse. Pour concevoir Ad plures ire (2007), il a procédé au démontage puis à l’enroulement manuel simultané de cinq bandes de cassettes vidéo. Formant un tondo noir des plus abstraits, l’œuvre, entre tableau et sculpture, induit un nouveau mode de lecture de l’image et évoque ainsi la dématérialisation galopante des supports de l’information et leur obsolescence progressive au gré des innovations technologiques.

Grégoire Bergeret a visé juste. La force critique de ses œuvres, que l’on pourrait envisager comme des bombes à retardement, provient de la distance, bonne, qu’elles entretiennent avec le propos qu’elles incarnent et dénoncent. L’artiste parvient, avec finesse et simplicité, à construire une œuvre hétérogène aussi minimaliste que percutante qui déroute notre perception de l’image et du réel, brouillé par une série d’interférences et dont l’identification ne va pas de soi. Ce que pourrait résumer à elle-seule la photographie Au fil de l’eau (2007), montrant l’extrémité d’un doigt posée sur un filet d’eau coulant d’un robinet…

Article paru dans le n° d'octobre-novembre de la revue Particules, disponible dans toutes les bonnes galeries...

Visuels:
Tir suspendu, 2006, Courtesy Galerie Claudine Papillon.
Fleur de mort, 2008,
Courtesy Galerie Claudine Papillon.
Ad plures ire, 2007,
Courtesy Galerie Claudine Papillon.
Au fil de l'eau, 2007, Courtesy Galerie Claudine Papillon.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Joli article Anne-Lou !
J'ai décidé ce matin, au saut du lit, de créer moi aussi un blog, et voilou, ça s'appelle Permafrost, et l'adresse c'est : http://maglesauvage.wordpress.com
Je t'ai mise dans mes liens !
A+
Magali