15 mars 2008

Arty Show

Il y a quelques jours, je recevais dans ma boîte aux lettres Quoi de neuf?, magazine-catalogue édité par Jalou Production pour le compte du grand magasin haussmannien Galeries Lafayette. Jusqu'ici, rien de neuf, du promotionnel sur papier glacé.

On savait les Galeries Lafayette hautement impliquées dans la création contemporaine avec la Galerie des Galeries, espace d'exposition situé à l'intérieur du grand magasin, témoignage clair d'une volonté d'intégrer l'art contemporain, pour ne pas dire le récupérer (si tout cela ne s'appelle pas de la communication, merci de me dire ce que c'est). «Pas un passage aux Galeries Lafayette sans un détour par la Galerie des Galeries», peut-on lire page 12. En réalité, l'emplacement de ladite Galerie implique surtout un passage obligé par le grand magasin pour pouvoir voir telle ou telle exposition... Vous achèteriez bien une petite bricole avant d'aller vous culturer ? Ou plutôt après, pour vous récompenser de vos laborieux efforts ?

Si Guillaume Houzé, initiateur du projet ANTIDOTE (cycle d'expositions à la Galerie des Galeries), prétend ainsi «favoriser la rencontre entre le public et l'art», on a du mal à s'enlever de l'esprit que la "mission" du grand magasin ne se place pas tout à fait à ce niveau. Sous couvert d'une pseudo démocratisation culturelle repoussant les frontières de l'art contemporain jusque dans les grands magasins (à quand l'art contemporain chez Leclerc?), la tendance se dessine: l'art est à la mode et, comme par hasard, «[la] saison printemps-été 2008 [est] placée sous le signe de l'influence "Arty", présente dans toutes les collections», dixit Michel Roulleau, directeur général adjoint des Galeries Lafayette.

Alors voilà: l'art est (dans) la mode, la mode est (dans) l'art, mais surtout à nouveau, l'art est à la mode, particulièrement lorsqu'il s'agit de l'objectiver, de le réifier jusqu'à lui donner l'aspect d'une marchandise, ou d'un décor, comme le fait Quoi de neuf?.

Pages 18-29*, rendez-vous au Musée d'art moderne de la Ville de Paris pour une séquence "Arty Trip". Le décor est planté: des œuvres de Mathieu Mercier, Raoul Dufy, Douglas Gordon, Hanne Darboven, Tatiana Trouvé (voir photo ci-contre), Yves Klein, servent de toile de fond. Elles sont partiellement occultées, quand elles ne sont pas floutées. Et, au beau milieu, les mannequins posent et défilent. Aucune originalité dans les photographies, aucun cachet artistique (les pages mode de Elle font mieux). Il s'agit de mettre en valeur le produit (les vêtements et accessoires de mode) et, au passage, de donner un aperçu furtif de morceaux choisis de l'art contemporain, aussi furtivement commentés dans un coin de la page.

L'art contemporain, qui souffre déjà d'une tendance croissante à la marchandisation, n'avait pas besoin de ça. Et voilà que les Galeries Lafayette en rajoutent une couche. Bien sûr, l'art a ses tendances, ses courants, ses couleurs. Mais les enjeux de départ, a priori non commerciaux, ne sont pas les mêmes que dans la mode. Les artistes n'obéissent pas aux tendances – du moins ils ne sont pas censés le faire –, ils les créent, les (ré)activent.


Bref, le défilé continue puisque la séquence "Electric Cité" est cette fois shootée à la galerie Emmanuel Perrotin, l'une des galeries-star du marais abritant notamment Sophie Calle, Xavier Veilhan, Maurizio Cattelan, etc.). Je ne saurais que trop vous recommander d'aller jeter un œil à la double page 38-39*. A gauche, une jeune fille en Ray-Ban, maillot à pois et mini-short satiné en équilibre sur les pointes aux côtés d'une sculpture de Martin Oppel. A droite, en pleine page, un homard – clin d'œil borgne au Lobster de l'ami Koons ? –, légendé comme suit: «Homard du Canada, 1er étage poissonnerie du Lafayette Gourmet», puis dessous, en plus petit: «Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé / www.mangerbouger.fr». J'ai eu beau me pincer plusieurs fois, j'espère encore qu'il s'agisse là d'une de ces mystérieuses associations d'images que cultivent parfois les rêves... Chapeau bas au directeur artistique de ce magazine, il fallait oser.

A la page suivante, la jeune fille a remisé son shorty et opté pour un total look Chloé: la voici qui, index sous le menton, prend un air inspiré devant ce que l'on devine être une œuvre d'art, ici hors champ, absence qui achève de nous convaincre de l'immense intérêt porté à l'art dans tout ce bazar. Et au cas où l'on aurait encore pas bien compris, la suite fait la part belle à une farandole d'objets design (tabourets, lampadaires, chaises...), bientôt remplacés par lunettes de soleil, maquillages, parfums, bijoux. Ah! Enfin de vrais objets (disponibles aux Galaf)! Non, parce que l'art contemporain, ça va bien deux minutes hein...

* Cette pagination ne correspond pas à celle de la version consultable sur le site des Galeries Lafayette. En effet, celle-ci n'inclut pas les nombreuses pages de pub insérées dans la version papier...

7 commentaires:

Magali a dit…

beurk, ça pue tout ça...
mais est-ce que certains artistes "bankables" n'y sont pas aussi pour quelque chose ? ils peuvent toujours dire non... non ?
la bise

Anne-Lou a dit…

bien sûr...
quoiqu'il en soit ce n'est pas eux qui sont à l'origine de ces mises en scène grotesques.
ça leur fait de la pub (et du tort aussi certainement).

Anonyme a dit…

personnellement je trove que ça leur fait beaucoup de tord artistiquement beaucoup de biens mercantilement

mais de toutes manières les artistes cités ne m'étonnent pas de leurs participations à cette petit mascarade...

leur production est réduite à un décor

et ça résume bien ce que je pense c'est que désormais l'artiste se prend pour le décorateur en chef de la société du spectacle qui est bien installée...

arf c'est triste

Anne-Lou a dit…

On est d'accord, les artistes ne sont pas tous des oies blanches, mais je crois surtout qu'ils sont les premières victimes d'un certain nombre de "marionnettistes" opérant dans le milieu de l'art contemporain qui voudraient précisément faire d'eux de simples décorateurs à des fins essentiellement mercantiles. La Galerie des Galeries a cela d'obscène qu'elle entend faire cohabiter l'art et la consommation de masse.

Anonyme a dit…

je pense que l'artiste doit dire non

le problème est qu'ils sont rares à dire non

enfin

on en connait qui disent non mais apres on les boude

lancelot a dit…

L'art est une marchandise, un bien
de consommation. Que d'hypocrisies
se cachent derrière L'ART ,..!!
L'artiste créer pour vendre, et le
plus cher possible, l'état d'âme ne
se fait qu'a la "conception", après
..."passez la monnaie" !!.
Si il existe..encore, des artistes
tout a fait philanthropes,?? où ce
sont des mécènes, et ils gardent
leurs collections pour en jouir, ce
qui est l'idéal..! sinon, ce sont
de doux rêveurs, pensant que l'art
est le fruit d'une créativité
divine, et qu'ils sont les seuls,
avec "l'élite" de la pensée,.... a
pouvoir apprécier ..!! En somme dû
Narcissisme culturel a l'époque du
savoir....pour tous.!
Les artistes, peut importe la
discipline de leurs activités,
qui ont "un NOM", ont, en général
grandes propriétés et grosses
voitures....Cherchez L'ERREUR !!
Cordialement, JEAN-LOU

Anonyme a dit…

Je vous lis "yeux fermés"...