18 juillet 2012

The Ghost Inside


Si l'appropriation, le détournement et autres déplacements voire transformations (de sens, de registre, de matériau etc.) habitent l'œuvre de Guillaume Constantin, c'est ici bien d'un retournement qu'il s'agit : l'exposition « Fantômes du Quartz » tire son titre du quartz fantôme, cristal au cœur duquel « les lignes parallèles s'emboîtent sans faute (...) [et] dessinent à l'intérieur de sa transparence les spectres fidèles, domestiques, de l'aiguille à six pans qu'ils hantent et dont ils multiplient l'impalpable simulacre ».* Figés dans la matière, ces spectres constituent les traces de différents stades de croissance que plusieurs millions d'années séparent, en même temps qu'ils cristallisent littéralement, de manière inframince, un process et une temporalité pluriels.



Combinant mouvement et immobilité, évolution et figement, cet arrêt sur images renvoie à l'installation éponyme Fantômes du Quartz : un assemblage de « dalles » en carton composant au sol une sorte d'échiquier sur lequel reposent divers objets collectés, tels des pions aux déplacements invisibles. Au sein de cet énigmatique display muséo-graphique, la partie continue, comme le suggère Everyday Ghosts, diaporama numérique en boucle constitué de 110 images représentant, sous toutes les coutures, des « fantômes de tous les jours »**. Conçu comme écran de veille d'ordinateur, il met paradoxalement à profit une phase d'inactivité – et dans une certaine mesure, d'immobilisme – de l'appareil technologique, pour afficher un perpétuel mouvement des images (fixes).


L'image-fantôme*** fait son apparition avec Peeled off too late, dépouille de carton plume noir punaisé au mur. Révélée, cette partie cachée du matériau, criblée sur ses bords de traces de doigts trahissant la manipulation dont il a fait l'objet, peut évoquer le négatif d'une photographie non développée. A moins que ce ne soit la photographie d'une apparition latente, ou d'un phénomène invisible, à l'instar des imperceptibles torsions observées sous l'effet de la chaleur par les tranches de frêne posées sur l'un des radiateurs du lieu d'exposition. 



A leurs côtés, faisant écho à la brûlure répandue sur le parquet et aux taches blanches parsemant la plaque de marbre noir – seuls vestiges d'une cheminée disparue –, le profil humain que dessine accidentellement le motif de la peau de vache recouvrant un livre posé à même le sol jette le trouble... Tout comme cette Envelope blanche en polystyrène choc thermoformé qui, aérienne, semble flotter (à l'image d'un vague souvenir), et dont les drapés ne sont pas sans rappeler cet habit**** qui, s'il ne fait pas le fantôme, en fait ici planer l'ostensible présence.



* Roger Caillois, Pierres, 1966.
** Reposant sur une pratique quotidienne placée sous le signe de la spontanéité et de l'aléatoire, l'œuvre constitue une banque d'images in progress agissant ici comme une véritable rotative au rythme pré-réglé.
*** Cf Hervé Guibert, L'Image-fantôme, 1981. Dans le premier récit éponyme de cet ouvrage, l'écrivain et photographe raconte une séance de photo avec sa mère dont l'image ne serait jamais révélée.
**** La forme d'Envelope restitue en l'agrandissant le patron d'un paletot – vêtement féminin datant de la fin du XIXe siècle – dont l'image est précédemment « apparue » dans le diaporama Everyday's Ghosts présenté dans la première section de l'exposition.  


Texte publié dans un poster conçu par l'artiste et édité à l'occasion de son exposition "Fantômes du Quartz", présentée à la galerie de l'Ecole d'Arts du Choletais du 21 janvier au 25 mars 2012.

Images :
1 / Quartz fantôme (Google Images)
2 / Guillaume Constantin, Fantômes du Quartz, 2004-2012.
3 / Guillaume Constantin, Veins, 2012.
4 / Guillaume Constantin, Envelope, 2012.

Guillaume Constantin est représenté par la Galerie Bertrand Grimont (Paris).

Courtesy Guillaume Constantin, Ecole d'Arts du Choletais.
© Stéphane Bellanger

11 juillet 2012

Double Jeu


Prenant appui sur des espaces et territoires réels et empruntant leurs systèmes de représentation normée tels que plans, trames et cartographies, les œuvres de Marie-Jeanne Hoffner – dessins, installations, vidéos, photographies, maquettes, etc. –, souvent réalisées in situ, en ouvrent les perspectives en ménageant une subtile tension entre construction et déconstruction, pli et dépli, surface et volume, plein et vide.


Ici, des photogrammes dans lesquels la superposition de bandes de papier millimétré évoque un urbanisme chaotique et crée, par une saturation en négatif, de troublantes zones de lumière blanche où s'engouffre le regard. Là, de petites pièces de balsa frontalement présentées sur un support en bois constituent les fragments d'une structure en kit à l'édification latente.


Ailleurs, des éléments tels des tasseaux dessinés au feutre composent les frêles ossatures d'architectures en devenir – à moins que celles-ci ne soient déjà réduites à l'état de ruines ? Quant à l'image en mouvement de la vidéo, elle fait écho aux "modulations" par déplacement, ajout ou retrait, d'une maquette donnant à voir le lieu sous d'autres angles.


Flirtant avec l'abstraction, le constructivisme, voire avec une forme de sur-réalisme, les formes et les jeux de (dé)construction opérés ou suggérés par Marie-Jeanne Hoffner nous projettent dans des espaces construits ou à construire situés dans un entre-deux, une phase intermédiaire saisie entre assemblage et démontage. C'est cet intervalle, cet autre "jeu", qui donne aux espaces concrets transcendés par l'artiste toute leur latitude et en renouvelle la perception. Au sein de cette zone sensible et mouvante se jouent et se dépl(o)ient de nouvelles configurations, à lire – et parcourir – entre les lignes.


Texte rédigé et publié à l'occasion de l'exposition de Marie-Jeanne Hoffner à la Galerie Dohyang Lee, "déplis, trames et grilles", 12 mai-13 juillet 2012.

Légendes des images :
1 / Building (Grids), 2009. Photogramme sur papier baryté, 24 x 32 cm.
2 / Plan-reliefs, 2011. Balsa contrecollé sur bois, 30 x 40 x 5 cm.
3 / Vue d'exposition. Parpaings, 2012. Impression jet d'encre / Copy Cut #1, #2, #3, 2011. Collages de photographies laser découpées sur fond noir, 30 x 40 cm.
Courtesy Marie-Jeanne Hoffner et Galerie Dohyang Lee (Paris)
© Aurélien Mole