Si l'appropriation, le détournement et
autres déplacements voire transformations (de sens, de registre, de matériau
etc.) habitent l'œuvre de Guillaume Constantin, c'est ici bien d'un
retournement qu'il s'agit : l'exposition « Fantômes du Quartz » tire son titre
du quartz fantôme, cristal au cœur duquel « les lignes parallèles s'emboîtent
sans faute (...) [et] dessinent à l'intérieur de sa transparence les spectres
fidèles, domestiques, de l'aiguille à six pans qu'ils hantent et dont ils multiplient
l'impalpable simulacre ».* Figés dans la matière, ces spectres constituent les traces de différents stades
de croissance que plusieurs millions d'années séparent, en même temps qu'ils cristallisent
littéralement, de manière inframince, un process
et une temporalité pluriels.
Combinant mouvement et immobilité, évolution
et figement, cet arrêt sur images renvoie à l'installation éponyme Fantômes du Quartz : un assemblage de «
dalles » en carton composant au sol une sorte d'échiquier sur lequel reposent divers
objets collectés, tels des pions aux déplacements invisibles. Au sein de cet
énigmatique display muséo-graphique, la
partie continue, comme le suggère Everyday
Ghosts, diaporama numérique en boucle constitué de 110 images représentant,
sous toutes les coutures, des « fantômes de tous les jours »**.
Conçu comme écran de veille d'ordinateur, il met paradoxalement à profit une
phase d'inactivité – et dans une certaine mesure, d'immobilisme – de l'appareil
technologique, pour afficher un perpétuel mouvement des images (fixes).
L'image-fantôme***
fait son apparition avec Peeled off too
late, dépouille de carton plume noir punaisé au mur. Révélée, cette partie
cachée du matériau, criblée sur ses bords de traces de doigts trahissant la
manipulation dont il a fait l'objet, peut évoquer le négatif d'une photographie
non développée. A moins que ce ne soit la photographie d'une apparition
latente, ou d'un phénomène invisible, à l'instar des imperceptibles torsions observées
sous l'effet de la chaleur par les tranches de
frêne posées sur l'un des radiateurs du lieu d'exposition.
A leurs côtés,
faisant écho à la brûlure répandue sur le parquet et aux taches blanches parsemant
la plaque de marbre noir – seuls vestiges d'une cheminée disparue –, le profil
humain que dessine accidentellement le motif de la peau de vache recouvrant un
livre posé à même le sol jette le trouble... Tout comme cette Envelope blanche en polystyrène choc
thermoformé qui, aérienne, semble flotter (à l'image d'un vague souvenir), et dont les drapés ne sont pas sans rappeler cet
habit****
qui, s'il ne fait pas le fantôme, en fait ici planer l'ostensible présence.
* Roger Caillois, Pierres,
1966.
** Reposant sur une pratique quotidienne
placée sous le signe de la spontanéité et de l'aléatoire, l'œuvre constitue une
banque d'images in progress agissant
ici comme une véritable rotative au rythme pré-réglé.
*** Cf Hervé Guibert, L'Image-fantôme,
1981. Dans le premier récit éponyme de cet ouvrage, l'écrivain et photographe
raconte une séance de photo avec sa mère dont l'image ne serait
jamais révélée.
**** La forme d'Envelope restitue en l'agrandissant le patron d'un paletot –
vêtement féminin datant de la fin du XIXe siècle – dont l'image est
précédemment « apparue » dans le diaporama Everyday's
Ghosts présenté dans la première section de l'exposition.
Texte publié dans un poster conçu par l'artiste et édité à l'occasion de son exposition "Fantômes du Quartz", présentée à la galerie de l'Ecole d'Arts du Choletais du 21 janvier au 25 mars 2012.
Images :
1 / Quartz fantôme (Google Images)
2 / Guillaume Constantin, Fantômes du Quartz, 2004-2012.
3 / Guillaume Constantin, Veins, 2012.
4 / Guillaume Constantin, Envelope, 2012.
Guillaume Constantin est représenté par la Galerie Bertrand Grimont (Paris).
Courtesy Guillaume Constantin, Ecole d'Arts du Choletais.
© Stéphane Bellanger