19 décembre 2007

Riposte

Parmi tous les "acteurs" du "monde de l'art", il en est des plus confortablement installés que d'autres...

D'art il n'y aurait point sans artistes. On en arriverait presque à oublier ce constat quasi tautologique tant ces derniers sont entourés, voire ensevelis, d'une myriade de (plus ou moins) professionnels de l'art en l'absence desquels ils ne seraient pas à même d'exister pleinement.

Les artistes, certes nécessaires, mais pas suffisants. Quoique, c'est parfois à se demander si galeristes, critiques, commissaires, mécènes et autres particules élémentaires du milieu de l'art contemporain n'encrasseraient pas quelque peu la machine, servant leurs intérêts propres, individuels ou "communautaires", sous couvert de défendre — ou de descendre — tel ou tel.
Finalement, ce sont les collectionneurs qui semblent le mieux tirer leur épingle du jeu: ils apportent de l'eau au moulin sans noyer personne.

Indéniablement, lesdits "plus confortablement installés que d'autres" semblent être les critiques. Si l'on est actuellement en droit de penser que la critique d'art à proprement parler n'existe plus, nombreux sont pourtant ceux qui s'en réclament et jouissent de ce "pouvoir" — pire, d'un soi-disant devoir — autoproclamé d'adouber ou de dégommer artistes ou commissaires (1), expositions ou institutions.


Il faut ici souligner la vulnérabilité de la plupart des artistes qui exposent, et par la même occasion, s'exposent au regard et au jugement d'autrui, ainsi que la relative prise de risque qui caractérise leur démarche et explique peut être le développement croissant d'un "appareillage" humain incarné par la figure du commissaire, ou "curator", sorte de directeur artistique censé organiser, promouvoir et protéger l'artiste et son œuvre.

Tout le "système" de l'art (contemporain) émane de la matrice que constituent l'artiste et son œuvre. Viennent entre autres s'y greffer commentaires et discours (critiques ou non), lesquels demeurent de simples applications.

En tant que critique, ou plus génériquement en tant que commentateur, il convient alors de faire preuve de science, de prudence et d'humilité, et d'être par ailleurs conscient que la publicité d'un brûlot à l'encontre, non pas d'une institution, ni même d'un commissaire, mais bien d'artistes en personne, est à manier avec force dextérité, et que la réplique est possible. Et dans certains cas, souhaitable.
Comme dans celui qui suit...


Ultralab VS Jean-Max Colard:
http://www.chronicart.com/news/actu_1.php


(1)
Notons que ces deux fonctions ne sont pas incompatibles: certains artistes peuvent être ponctuellement commissaires d'exposition, à l'instar de Mathieu Mercier (récemment, Dérive à la Fondation d'entreprise Ricard) ou Ugo Rondinone (The Third Mind, Palais de Tokyo), voire scénographes (Daniel Buren pour Prenez soin de vous de Sophie Calle, Biennale de Venise 2007). En outre, un certain nombre de critiques sont aussi commissaires d'exposition (à moins que ce ne soit l'inverse?).

Photos : The Straight Edge (vidéo),
Fabien Giraud, 2005. Courtesy Fabien Giraud / Olivier Anselot, Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains.

13 décembre 2007

Coming soon...

Il avait fallu se motiver pour enfiler bonnet et gants et filer au vernissage de la nouvelle exposition présentée au Plateau ce 12 décembre. J'avais décidé, comme à l'accoutumée, de faire d'une pierre deux coups et de passer voir l'exposition en cours à la Cosmic Galerie, lesdits "lieux d'art contemporain de l'est parisien" ayant, à l'instar des galeries du quartier Louise Weiss, regroupé leurs vernissages en une même date.

Une fois sortie du métro à la station Pyrénées, un vague pressentiment m'avait saisie qui ne tarderait pas à se vérifier...

Etait-ce le titre en forme de prémonition de l'exposition de Pierre Bismuth — Coming soon — qui par ailleurs avait déjà commencé et profitait du vernissage du Plateau pour se (re)vernir ? Etaient-ce ces improbables "specimens" de billets de 60 euros jonchant le sol qui, sur le chemin du métro à la galerie, m'avaient rappelé par quelque miraculeuse intuition la bien nommée "affaire des cartons piégés" fomentée par le collectif d'artistes Ultralab en 1999, et récemment réactivée par la sortie de leur film Psychopathologie de la vie quotidienne dans le monde des arts (1) ?

Toujours est-il qu'en arrivant à bon port vers 19h30, alors quasiment persuadée, au vu de la remarquable absence de l'habituel groupuscule de "vernisseurs" fumant, bavardant et trinquant à l'extérieur de la galerie, qu'il n'y avait là trace d'aucun vernissage, fût-il le plus sage, je tentai, ayant vu de la lumière et bien qu'ayant constaté un silence inquiétant après avoir collé mon oreille à la porte, une intrusion aussi vaillante que désespérée...

Là, trois personnes se tenaient debout, le manteau déjà boutonné, fin prêtes à affronter le froid hivernal. J'expliquai alors la situation en lisant la surprise sur leur visage — et eux sur le mien — et, voyant que l'extinction des feux, vraisemblablement imminente, n'avait pas encore eu lieu, je demandai l'autorisation de faire un tour de piste, "histoire de ne pas être venue jusqu'ici pour rien"...

Je découvris alors une installation de Pierre Bismuth — plus qu'une exposition éponyme — intitulée Coming soon, que je ne découvrais précisément pas pour l'avoir déjà vue cette année en vitrine de la Kadist Art Foundation lors de l'exposition Some Time Waiting. L'effet d'annonce du titre, luminescent, clignotant même, s'était alors mué en sentence déceptive et signalait ostensiblement une non exposition qui feignait d'introduire la suivante.
Prochainement...

Prémonitoire vous disais-je.

(1) En 1999, le collectif Ultralab édite 10 faux cartons d'invitation à des expositions factices. Chaque prototype est envoyé à un acteur du "milieu de l'art contemporain": artiste, critique, galeriste, etc. Le film Psychopathologie de la vie quotidienne dans le monde des arts (2007), récemment projeté en avant-première au Jeu de Paume où Ultralab expose jusqu'à fin décembre, propose une série d'extraits choisis d'entretiens réalisés avec les dix "victimes" de cette supercherie, d'Elisabeth Lebovici à Magda Danysz en passant par Stephen Wright et Bernard Stiegler.

Photo: Coming soon, Pierre Bismuth, 2005. Courtesy Cosmic Galerie.

8 décembre 2007

La cité va craquer

La représentation actuelle de la banlieue, essentiellement diffusée à travers le tube cathodique, confère à cette marge urbaine une image de zone de non droit où dégradations et violences seraient devenues le quotidien des habitants et de leurs spectateurs par écran interposé.


Nous sommes en effet bien loin aujourd'hui des espoirs nourris dans les années 1950-1970 lors de la construction à la périphérie des villes de ces logements en barres, véritable utopie sociale qui s'apprêtait à abriter sa propre dynamite faute d'infrastructures locales propres à faire autre chose de ces "grands ensembles" que de vastes complexes dortoirs.


Dans son ouvrage intitulé "Le Grand ensemble", paru il y a quelques mois au Point du jour éditeur, Mathieu Pernot confronte trois sortes d'images: des cartes postales de ces bâtisses datant de l'époque de leur construction; des portraits de leurs habitants, détails des cartes postales agrandis; des photos de leur démolition.


En même temps qu'il réintroduit l'humain — par l'image mais aussi par le texte en reprenant les mots figurant au dos des cartes postales —, Mathieu Pernot donne à voir l'échec annoncé d'un projet utopique qui l'en avait en réalité exclu.


La représentation des grands ensembles constitue l'un des sujets de prédilection du jeune artiste français Cyprien Gaillard.














Son œuvre protéiforme confronte l'architecture moderniste au milieu naturel, qu'elle broie progressivement.
Puis vient le jour où la pierre elle-même se trouve broyée (Desniansky Raion, voir l'article en lien). La démolition fait événement, spectacle, comme pour mieux dissimuler l'échec, la détresse.


Un peu de poudre aux yeux, et beaucoup de fumée pour rien...





Liens :

http://www.paris-art.com/lieu-art-exposition/exposition/3841/galerie-cosmic-
cyprien-gaillard-desniansky-raion.html

http://www.cosmicgalerie.com/fr/pages/artistes.php?name=6564

Photos :
1) Le Grand Ensemble, Mathieu Pernot.
2)
Le Grand Ensemble, Mathieu Pernot.
3) Swiss Ruins. Bumpliz (vue 1), Cyprien Gaillard, 2005. Courtesy Cosmic Galerie.
4) Real Remnants of Fictive War V (vidéo), Cyprien Gaillard, Courtesy Cosmic Galerie.

Chutes libres















Votre regard a sans doute déjà croisé cette photographie ou l'une de celles extraites de la série "La Chute" (2005-2006), qui a valu à Denis Darzacq d'être récompensé du 1er prix "Stories" du World Press Photo 2007 et a fait l'objet d'une exposition à la galerie Vu au printemps dernier.

Initiée à l'issue de la crise des banlieues en 2005, cette série surprenante montre les corps en suspens de jeunes danseurs de hip hop ou de capoeira dans l'environnement urbain de la cité.
Inscrite au sein d'un contexte socio-politique fort, "La Chute" donne à voir un entre-deux, saisi par la photographie.

A la raideur de l'architecture, neutre et sans saveur, le corps oppose sa souplesse, sa liberté maîtrisée.
Il s'agit de s'élever vers d'autres cieux, de se maintenir. Résister à la gravité, ne pas toucher le sol, de peur de s'y enfoncer.
Sortir la tête du béton, et rêver...
Un temps suspendu dans l'espace, le corps va devoir retomber.

Mais pour l'heure, il demeure en lévitation, à jamais. Porté par un vent furieux, ou soulevé d'une énergie folle.

Liens : http://denis.darzacq.revue.com/la_chute/index.html
Photos : La Chute, Denis Darzacq. Courtesy Galerie Vu.

5 décembre 2007

Doubles villes

Le jeune photographe anglais Tom Leighton produit des images faussement symétriques représentant la ville: Tokyo, New York, Londres, Barcelone ou Berlin ont fait les frais de ses manipulations numériques.
En falsifiant ces réalités urbaines, il crée autant de paysages contemporains à la fois improbables et familiers évoquant certaines représentations classiques de l'espace urbain et de son architecture dans la peinture ou l'iconographie utopique, à l'instar de "La Cité idéale" (XVe siècle).


Les fictions urbaines de Tom Leighton donnent à voir des cités réelles et imaginaires, étranges et fascinantes, mutantes.

Moins complexes sur le plan technique de par leur stricte symétrie — bien que celle-ci soit à la fois verticale et horizontale —, les photocompositions d'Hervé Perdriel n'en sont pas moins troublantes.

Sur le principe du test de Rorschach, il dédouble un ou plusieurs éléments architecturaux et élabore ainsi des formes qui se détachent progressivement de leur contexte urbain ou industriel, livrées à l'interprétation du spectateur.

Ces visions kaléidoscopiques d'un environnement urbain contemporain, flirtant avec un certain surréalisme, réinventent la ville sur un mode graphique, voire ludique.

Liens :
www.thecynthiacorbettgallery.com
http://www.artmajeur.com/?go=user_pages/display_all&login=perdriel

Photos :
1) The Piazza, 2006, Tom Leighton / Courtesy The Cynthia Corbett Gallery
2) La Cité idéale
3) Paris, Immeubles Quai de Grenelle, Hervé Perdriel / Courtesy
Hervé Perdriel

3 décembre 2007

Entrée en matière
















Figurant parmi les quatre artistes sélectionnés pour l'édition 2007 du Prix Marcel Duchamp, décerné à Tatiana Trouvé lors de la Fiac en octobre dernier, le peintre polonais Adam Adach présente, jusqu'au 2 février 2008, une dizaine d'œuvres à La Galerie, centre d'art contemporain situé à Noisy-Le-Sec.

Le choix des œuvres et leur accrochage, bien pensé sans être bien-pensant, mettent à jour les fondamentaux du travail de l'artiste: la part d'abstraction contenue dans une pratique manifestement figurative; la réflexion entre histoire personnelle et Histoire, mémoires individuelle et collective; l'omniprésence de la construction en écho au passé communiste de la Pologne, autrefois rattachée au bloc soviétique, et au constructivisme russe; la fragilité des utopies, la précarité du bonheur et son échafaudage; l'obsolescence des concepts futuristes d'hier, ...

Ancrées dans la réalité, les toiles d'Adam Adach sont en mesure de l'outrepasser et de basculer dans le rêve, le cauchemar ou la science-fiction.
Si elles font images, leur matérialité les ramène sur le terrain accidenté de la peinture, des reliefs, de l'épaisseur qui révèle tout ce qu'elle est à même d'occulter, par recouvrement.
Un tableau peut en cacher un autre. Il dit aussi les zones d'ombre et de lumière de l'Histoire, et de l'artiste.

La Galerie, 1 rue Jean Jaurès 93130 Noisy-Le-Sec.
mar-ven 14h-18h / sam 14h-19h. Entrée libre.

Photos:
1) Ministry of Communication, Adam Adach, 2006. Courtesy Galerie Nächst St. Stephan Rosemarie Schwarzwälder, Vienne.
2) Fondations, Adam Adach, 2002. Courtesy Galerie Jean Brolly, Paris.